Peut-être avez-vous été bloqué vous-mêmes, à l’un ou l’autre rond-point, durant les dernières semaines de 2018 ? Quoi qu’il en soit, le mouvement spontané des « gilets jaunes », largement médiatisé, interpelle chacun de nous et la société toute entière. Il fait l’objet de débats engagés, souvent passionnés, jusque dans nos classes ou la salle des profs…
Voici une réflexion glanée sur le blog d’un observateur qui offre un peu de recul et une ébauche d’analyse :
Réflexion d’Arnaud Riou sur la situation en France
Qui est responsable de cette violence ?
Au lendemain de la grande manifestation des gilets jaunes du premier décembre, les images de l’Arc de Triomphe saccagé tournent en boucle.
En marge du cortège, des casseurs y ont pénétré et ont détruit une partie de son mobilier. L’anonyme qui, avec un extincteur a cassé cette moulure, a-t-il seulement reconnu le visage de Marianne, détail de la statue « Le départ des volontaires » ?
Le président Macron a déclaré ce matin que les responsables de ces violences seront retrouvés et punis. Il a également rappelé qu’il acceptait la colère des manifestants, mais non leur violence. Ainsi, la violence serait le prolongement de la colère ? Dans mon expérience, elle ne l’est pas. La violence n’est pas le prolongement de la colère, mais le prolongement d’une colère réprimée, étouffée à force de petites frustrations quotidiennes et d’humiliations insupportables qui, un jour et de façon imprévisible, explosent comme une cocotte-minute oubliée sur le feu.
Cela fait tant de mois que sont visibles les signes de saturation de cette France qui compte chaque euro pour faire ses courses, de ses infirmières qui pleurent de ne plus pouvoir exercer dignement un métier qu’elles ont choisi, de ses chômeurs ou petits retraités, pour qui l’augmentation de quelques centimes d’un ticket de métro ou d’un litre d’essence déséquilibre le budget mensuel.
Le Président et son premier ministre se disent prêts à recevoir les représentants de ce mouvement et écouter leur revendication. Mais il suffit de savoir enfiler un gilet jaune pour comprendre qu’il n’y a pas de représentant. Ce mouvement n’a rien de pyramidal ou de structuré comme peuvent l’être les syndicats ou les parties politiques. C’est un mouvement spontané, le mouvement du ras-le- bol, de la goutte d’eau, de la colère qui n’en peut plus d’être contenue.
Quelle négociation peut avoir lieu aujourd’hui, tant il y a un décalage entre la détresse des gilets jaunes et les ors brillants des salons de la République ?
Bien sûr, je ne cautionne aucune violence. En toutes circonstances, j’encourage de tout mon cœur le dialogue, l’échange, la rencontre. Car la parole vraie, la prise en compte de l’autre sont les premières clés de la résolution d’un conflit. Nous ne sommes pas assez formés à cela, et trop de politiques manquent d’humilité et d’empathie pour comprendre le quotidien de ceux qui n’en peuvent plus.
Lorsque le dialogue n’est plus possible, lorsque les hommes et les femmes élus pour défendre nos valeurs deviennent arrogants, ou simplement insensibles aux plus fragiles d’entre nous, lorsqu’il y a tant de distance entre la réalité des uns et celle des autres et qu’aucun effort sérieux n’est fait pour rétablir le lien humain, alors oui, la fracture génère de la violence.
(…) Si je trouve violent d’avoir brisé cette statue symbole de l’unité de la nation, je trouve plus violent encore de poser 300 000 euros de moquette à l’Élysée, ou de dépenser plus de 800 000 euros d’argent public pour une simple visite en Nouvelle Calédonie, dans la semaine où des milliers de français manifestent dans la rue. Cette coïncidence peut être vécue comme une simple maladresse pour les uns, et comme une humiliation pour les autres.
(…) Il est facile de transmettre ses valeurs. Il suffit de les incarner soi-même. (…) C’est la qualité des véritables leaders d’opinion, à l’image de Gandhi dont le seul slogan (« sois le changement que tu veux voir en ce monde ») montrait par l’exemple que la meilleure façon de faire la paix dans le monde était d’œuvrer pour établir la paix dans son coeur. Et si la meilleure façon pour notre gouvernement d’inspirer la nécessité de l’économie était de l’incarner ? Les idées ne manquent pas pour faire des économies et restaurer le dialogue. Dans la période que nous traversons, le lien a été rompu en trop d’endroits. La confiance est affectée, meurtrie. La fraternité s’est éteinte pour faire place à la compétitivité, au refus de l’autre… Il faudra un temps certain pour rétablir les liens.
Nous ne traversons pas une crise, mais une mutation. Cette mutation est profonde et organique. Elle touche tous les systèmes financier, économique, écologique, d’éducation, culturel et spirituel. Le vieux monde s’effondre, comme il s’est effondré à la chute de l’empire romain ou des Ottomans, ce vieux monde bâti sur des paradigmes d’un autre siècle. Il est temps d’en finir avec la recherche d’une croissance aveugle pour la remplacer par une sobriété heureuse, encouragée et intelligente. Il est temps de ne plus croire que nos ressources sont inépuisables : l’exploitation aveugle des ressources écologiques nous conduit à une catastrophe annoncée.
Les sagesses nous enseignent que, pour passer à l’action, il n’existe profondément que deux moteurs : l’amour et la peur. Peut-être pouvons-nous considérer que nous avons assez investi dans le pouvoir de la peur, peur de l’autre, peur du changement, peur du dialogue véritable, pour essayer cet autre pouvoir qui vient du cœur et qui manque tant dans les structures de notre démocratie.